Chaque professionnel de santé a ses spécificités tout en étant complémentaire. En gériatrie, l'ergothérapie et la psychomotricité sont deux professions qui ont un objectif commun : la préservation de l'autonomie et le « bien vieillir ». Cependant, ces professions ne sont toujours pas bien connues ni des directeurs d'établissements, des infirmières ni même de tous les assistants-soignants. Afin de clarifier leurs domaines d'expertise de manière pragmatique, nous les définirons, puis expliquerons la collaboration à travers des cas cliniques sur des situations d'accompagnement aux repas.
1°) Définir pour mieux comprendre
L'ergothérapeute est un professionnel de santé, rééducateur, certifié par l'État, qui fonde sa pratique sur le lien entre l'activité humaine et la santé. Son objectif est de maintenir, de rétablir et de permettre les activités de manière sûre, autonome et efficace. Il prévient, réduit ou élimine les situations de handicap en prenant en tenant compte des habitudes de vie des personnes et de leur environnement. Ce professionnel est donc un intermédiaire entre les besoins d'adaptation de la personne et les exigences de la vie quotidienne en société.
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Le psychomotricien est un professionnel de santé, rééducateur, certifié par l'État, qui accompagne les personnes souffrant de difficultés psychologiques exprimées par l'organisme en agissant sur leurs fonctions psychomotrices par des médiations corporelles. Ce spécialiste évalue les capacités psychomotrices et recherche l'origine des difficultés. Il contribue ainsi à la réadaptation et à la réinsertion psychosociale de la personne et l'accompagne ainsi que son entourage autour d'un projet thérapeutique. Chaque séance vise à réconcilier la personne âgée avec son corps afin de retrouver ou de retrouver un équilibre psycho-corporel.
Bref, le travail du psychomotricien se concentre sur l'expérience psychocorporelle tandis que l'ergothérapeute se concentre sur l'adaptation de l'environnement en fonction aux capacités motrices et cognitives. Par conséquent, les modalités de prise en charge au cours de la même période seront différentes, mais complémentaires. Voici des exemples concrets de temps d'accompagnement lors des repas.
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2°) L'accompagnement des repas
Nous avons choisi de prendre des exemples autour du repas. Notre objectif est similaire : maintenir l'autonomie de la personne âgée. Cependant, nos axes de réflexion et donc nos approches sont distincts.
Exemple 1 : M. TR.
M. TR est un homme de 78 ans souffrant de dégénérescence maculaire liée à l'âge (DMLA) et de troubles neurocognitifs d'Alzheimer. Il est entré en institution dans une unité résidentielle en 2014.
Ergothérapeute
Evaluation
Observation à l'heure du repas : les praxies (=gestes) sont fonctionnelles et les gnosies sont bonnes (=reconnaissance d'objets). Les troubles visuels nécessitent un fort contraste entre les couverts et les ustensiles pour favoriser son indépendance.
Interventions
Placement de couverts et d'ustensiles à contraste élevé pour optimiser la visibilité malgré la DMLA.
Transmissions aux équipes
Positionner les éléments toujours aux mêmes endroits afin d'établir des références fixes et de conserver son autonomie.
Psychomoteur
Bilan
La motricité est bonne. Les compétences cognitives sont correctes. Les comportements perturbateurs sont causés par la prise de conscience de ses troubles sensoriels et leur non-acceptation. Les difficultés liées aux repas sont causées par la DMLA.
Intervention sur 2 axes
— Séance individuelle de travail sur la conscience corporelle, l'équilibre psycho-corporel et la confiance en soi.
— Repas thérapeutique : travail centré sur la sphère psycho-émotionnelle car M. TR. a du mal à investir le matériel proposé par l'ergothérapeute.
Transmissions vers équipes
Travaillez avec l'équipe sur le soutien de la sphère sociale.
Suivi des recommandations
Les recommandations respectées au quotidien qui favorisent l'autonomie et l'indépendance de M. nécessitent parfois des conseils verbaux pour des ajustements mineurs.
Exemple 2 : Mme TA.
Mme T.A. est une femme de 100 ans. Elle est entrée dans une maison de retraite en janvier 2009 à la suite d'un accident ischémique transitoire (AIT). Depuis son entrée, Mme TA. a perdu certaines capacités, notamment sensorielles. À ce jour, elle est atteinte de cécité et de surdité bilatérales, et a développé un sens du toucher pour compenser ces troubles. Madame est dépendante de tous les actes de la vie quotidienne.
Ergothérapeute
Bilan
Les gestes et les poignées sont fonctionnels. La perte d'autonomie est liée à des troubles sensoriels. La perte progressive des sens provoque un sevrage.
Interventions
Accompagnement pendant les repas afin de développer son sens tactile et de mettre en place un accompagnement d'orientation spécifique afin qu'elle puisse conserver une forme d'autonomie.
Transmissions aux équipes
Soutien et conseils aux équipes sur le type de soutien spécifique : le guidage gestuel avec les mains sur le bras ou la pression signifie qu'elle peut apporter les couverts à sa bouche.
Psychomoteur
Bilan
Madame possède de bonnes capacités motrices et cognitives. Cependant, ils sont entravés par ses émotions négatives qu'elle éprouve envers elle-même en raison de ses troubles sensoriels.
Interventions
Séance individuelle en dehors des repas autour de sa motricité afin de la valoriser et de reprendre confiance en elle.
Transmissions aux équipes
Stimulez Madame pour qu'elle puisse faire seule et la valoriser sans l'infantiliser.
Suivi de recommandations
Difficulté de compréhension par l'équipe soignante de Mme ' troubles sensoriels limitant l'investissement et l'utilisation des recommandations. Projet de sensibilisation aux troubles sensoriels pour les soignants.
Exemple 3 : Madame AA
Mme A. A. a 80 ans et souffre de la maladie d'Alzheimer depuis plus de 10 ans. Elle est retournée dans un établissement d'une unité de vie protégée. Après quelques années passées au cœur de l'unité, l'évolution de la maladie a entraîné des problèmes de communication, car elle ne parle que sa langue maternelle.
Ergothérapeute
Appréciation
Bonne perception (gnosie) et gestualité des éléments du tableau, mais difficultés d'utilisation dues à une mauvaise orientation de la canopée (trouble praxique)
Support
Essai de différents couverts, mais pas de différence majeure d'orientation.
Transmissions aux équipes
Accompagnez le geste main-bouche d'une bonne orientation de la couverture et faites des pauses entre chaque prise. Face à l'absence d'amélioration, il sera nécessaire d'envisager des aliments pour les doigts.
Psychomoteur
Bilan
Trouble psychomoteur global lié à des troubles neurocognitifs (trouble du schéma corporel et de l'image corporelle, trouble spatio-temporel, troubles praxiques)
Intervention sur 2 axes
— Séance individuelle : stimulation de la mémoire émotionnelle et procédurale avec de la musique et des objets appréciés par Mme A. Ce temps permet de travailler sur les schémas moteurs pour maintenir le geste main-bouche pour manger seul.
— Thérapeutique repas : stimulation avec les couverts proposés par l'ergothérapeute. L'évolution des troubles neurocognitifs a conduit à la mise en œuvre de l'alimentation par les doigts (alimentation manuelle) et à la stimulation de la mémoire procédurale.
Transmissions aux équipes
Travail sur la communication spécifique et la stimulation par le mimétisme.
Suivi des recommandations
Mise en place d'un doigt-food concluant : amélioration de l'autonomie et de l'indépendance nécessitant parfois un accompagnement verbal et un mimétisme pour l'initiation du geste.
Exemple 4 : M. P.
M. P. est un homme de 83 ans qui a reçu un diagnostic de maladie de Parkinson depuis 27 ans. Il est entré dans un EHPAD en 2012 suite à une difficulté de maintien à domicile. À ce jour, l'équipe soignante constate des difficultés de plus en plus importantes dans l'exécution des gestes de la vie quotidienne. M. présente une bradykinésie (= lenteur des mouvements) et une fatigabilité importante.
Ergothérapeute
Bilan
Gestes lents, mais fonctionnels, aucun trouble praxique. Une mauvaise assise (les pieds ne touchent pas le sol) entravant la prise en main des repas.
Support
Mise en place d'une marche pour stabiliser la posture.
Transmissions aux équipes
Soyez vigilant lors de la mise en place à table (repose-pieds) et proposez de couper les aliments pour limiter la fatigue.
Psychomoteur
Bilan
Trouble psychomoteur global causé par la maladie de Parkinson.
Soutien
Session individuelle axée sur l'éducation thérapeutique pour les aider à comprendre leur maladie et à la gérer au quotidien. Travaillez sur la conscience corporelle avec une relaxation dynamique pour l'aider à comprendre ses mouvements dans l'espace et sa fatigabilité et ainsi faciliter sa prise de repas.
Transmissions aux équipes
Respectez le rythme individuel.
Suivi des recommandations
Respect des recommandations pour une mise en place à table facilitant la prise des repas. Mise en œuvre d'une un soutien basé sur les observations de l'équipe soignante (fatigue, gestion de l'heure des repas, tremblements).
En conclusion
Ainsi, l'ergothérapeute travaille davantage sur l'adaptation de l'environnement tandis que le psychomotricien se concentre principalement sur l'expérience psychocorporelle de la personne âgée.
Cependant, le maintien de l'autonomie de la personne âgée et l'expérience de son vieillissement nécessitent un travail collaboratif et pas seulement entre ces deux professions. En effet, les avantages des adaptations et des séances dépendent de toutes les personnes qui travaillent avec la personne. Ainsi, l'ergothérapeute, le psychomotricien ou tout autre professionnel doit collaborer afin de pouvoir offrir un soutien et des aménagements adaptés aux personnes âgées, mais également à la structure. Ainsi, le soutien est totalement holistique et tient compte de tous les aspects de la personne âgée et de son environnement.